SÉBASTIEN DESJOURS

Théâtre, Cinéma, Histoire, Ré-Présentation

 

Entrevué par João Mascarenhas Mateus

 

Recibido el 12 de Abril de 2012
Aceptado el 25 de Abril de 2012


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Sébastien Desjours est un acteur français avec une carrière particulièrement mélangée de théâtre et de cinéma. Au théâtre, il vient de représenter récemment avec la Compagnie STAR Théâtre, le personnage de Kafka et l’homme sur le plafond des pièces de l’Australien Timothy Daly. Pour la télévision il a donné la voix française à plusieurs personnages dans plus d’une centaine de séries et de téléfilms de grande audience. Il a doublé aussi la voix de héros de longues métrages et séries de dessins animés. On a eu l’opportunité d’avoir avec lui un entretien qui a cherché à aborder des thèmes propres des relations entre cinéma et histoire et en même temps à connaître l’opinion d’un professionnel avec une très grande expérience entre instruments d’image si complexes, proches et distants que le théâtre, le cinéma et la télévision.

JMM - Avant de trouver les justes voix pour les personnages auxquelles tu donnes 'vie' dans des longs-métrages, séries ou dessins animés, est-ce que tu fais des recherches particulières? Elles te conditionnent à l'heure de 'traduire' pour le public français, un personnage spécifique?

SD - Je ne fais pas de recherches particulières. C'est plutôt l'image qu'on aperçoit et nous, les acteurs, ceux qui doivent répondre à ces images. Après, nous nous projetons aussi dans chaque situation. Un film est fait de situations. On essaye de projeter ce qui nous touche. L'image surtout, nous parle beaucoup. Tu vois des situations et il faut donner l'énergie juste à chaque situation. Il peut y avoir aussi des références qui sont donnés par le réalisateur et qu'il faut intégrer. Tu cela conduit la création du personnage 'en français'.

JMM - Les voix des versions originales, beaucoup de fois américaines, sont décisives pour les voix que tu adoptes?

SD - Etudier, connaître et imaginer un personnage sont des démarches fondamentales pour la création de l'énergie qu'ont veut transmettre dans chaque cas. Ce n'est pas une voix mais une énergie que l'acteur dégage sur l'écran. Après, le timbre, les aigus, les graves, c'est plutôt ce qu'on voit dans les images de l'œil des protagonistes. Être depuis le début, la première voix d'un certain personnage, comme celui de Emile dans Un Monstre à Paris (Bibo Bergeron, 2011) constitue un travail où les références données para le réalisateur sont fondamentales. Le doublage, par contre, comme celui de Roman Knizka en Anatomy / Anatomie 2 (2003) ou de David Starthrairn en A Map of the World / Une Charte du Monde (Scott Elliott, 1999) qui ont des rôles et des voix très différentes se traduisent en énergies très différentes. Pour les dessins animés il y a la composante de l'amusement et alors là il faut trouver quelque chose qui n'est pas naturelle, qu’appartient au monde des rêves, aux imaginaires de l'enfance...

JMM - Un personnage d’une série de dessins animés évolue dans le temps et constitue une référence pour millions de spectateurs, dans ces cas de jeune âge. Comment vois-tu le travail avec ces personnages imaginaires qui n'ont pas une seule et claire référence a un acteur déterminé?

SD - Par exemple pour Bob l'Éponge, il a été déterminante la voix américaine de Tom Kenny pour créer un couleur pour Bob en français. On doit pouvoir imaginer très bien ce personnage. Il faut donner l'opportunité de son existence dans la vie réelle. Si on trouvait Bob l’Éponge dans la vie réelle on le reconnaitrait parfaitement et on pourrait même très rapidement interagir avec lui. L'acteur travail avec ses propres 'instruments' de façon à représenter les transformations du personnage. Il se transforme, il acte dans différentes situations mais le personnage retourne à ce qu'il est au fond. Il est toujours assez proche du spectateur. Je suis conscient aussi de l'importance des dessins animés pour les enfants. C'est important qu'on identifie chaque personnage avec une voix. Cela doit être la voix du personnage et pas la voix d'une personne concrète. Ce personnage 'imaginaire' doit avoir le droit a pouvoir exister dans la vie réelle. Il ne faut pas révéler le secret de sa production ou construction en studio.

JMM - Est-ce que tu fait recours de ta mémoire cinématographique au théâtre?

SD - Les références cinématographiques peuvent être très importantes pour une pièce théâtrale. Pour les films de David Lynch, par exemple, il ya une théâtralité associée à une recherche esthétique. Dans le cinéma on trouve, en faite, beaucoup de choses en commun avec la théâtralité du théâtre...

JMM - En passant aux sujets plus débattues en Metakinema. Est-ce que tu crois que le cinéma est capable de faire Histoire?

SD - À travers la vision d'un réalisateur ou d'un scénariste il est possible de donner une vision du passé. Pas de le reconstruire. Le passé n’est pas répétable. L'image historique au cinéma ou au théâtre est plutôt la vision singulière d'un réalisateur et d'une époque sur un fait, une ambiance, un personnage ou une idée historique. C'est intéressant interroger l'histoire et cet exercice est particulièrement utile pour notre avenir. Le cinéma peut interroger l'Histoire. Mais est-ce qu'on peut dire que la vie de Cléopâtre a été comme celle représentée para Elizabeth Taylor? Je ne pense pas, mais c'est utile de donner cette connaissance là à un grand nombre de personnes. L'Histoire correspond à des perceptions qu'on a d'une époque passé. Ces perceptions changent avec le temps et avec les responsables de ces récits. Cependant, parce qu'elles relèvent des expériences humaines réussies, pas réussis, ou à peine réussies, elles peuvent nous être très utiles.

JMM - De quoi s'agit-il d'interpréter un personnage historique?

SD - J'ai récemment représenté au théâtre le rôle de Kafka dans Le Bal de Kafka de Timothy Daly sous la direction de Isabelle Starkier et je trouve très compliqué prétendre représenter physiquement un personnage historique. Tu lis, tu recherches sur des livres, tu cherches une identification avec lui, mais tu n'arriveras jamais à savoir comment il était vraiment. Je fais 1,70m, il faisait, 1,80m, par exemple...Au théâtre, ou au cinéma, on sera incapable de le ressusciter. Il sera réincarné par un acteur, par sa personnalité, par une pièce, par sa mise-en-scène et par des situations. La réalité ne sera jamais re-construite. Le personnage historique, un directeur, un acteur, ma personnalité, cela devient mon Kafka. Le théâtre n'est que la (ré)présentation de quelque chose qui a déjà existé. Cela n'est pas de l'histoire , seulement la perception d'un homme, de sa pensée, d'une époque.

JMM – Il y a des personnages historiques qui tu aurais particulièrement envie d’interpréter?

SD - Je n’ai pas envie d’un personnage. J’ai envie d’aventures humaines avec des univers anthropologiques. Je ne cherche pas à défendre un personnage ou un rôle particulier. J’ai envie que quelqu’un ait envie que je défende un personnage. L’intérêt est dans le défis. Le directeur de théâtre ou de cinéma te confie des rôles, des personnages. Interpréter un personnage est un moyen de se découvrir à soi même à travers le désir des autres. Les rôles deviennent secondaires aussi parce que le rôle prend d’autant plus d’ampleur que l’acteur est riche. Pour une même pièce ou script d’un filme, on peut avoir différents résultats en fonction de l’acteur et des choix du directeur.

Le directeur est le grand maitre à bord. L’acteur n’est pas maitre des choses. Au cinéma, le réalisateur a toujours le pouvoir. Au théâtre personne ne peut le couper. L’acteur est plutôt maitre des situations. Chaque représentation correspond à une ambiance différente et à différentes perceptions de la part du public. Il ya toujours des petits changements chaque jour et pour cela une représentation chaque jour différente de celle qui l’a précédé. C’est là qui réside une des caractéristiques uniques du théâtre. Chaque jour il ya un parcours nouveau à découvrir.

JMM – Selon toi, il y a des éléments indispensables pour créer une certaine ambiance qu’on puisse associer au passé?

SD – Les costumes, la voix, le style du discours, la rhétorique. Chaque élément a son importance. Par contre, il est possible de se transporter au passé ou amener le passé sur scène sans décors, mas par exemple avec des costumes d’époque. Il est possible aussi le faire sans décors, sans costumes mais avec un langage ou un style rhétorique particulier qu’on associe à une certaine époque. L’image a une importance capitale. Mais l’image associée à un langage qui ne lui correspond pas ne peut pas donner des bons résultats. Un costume d’époque précis peut aider l’acteur à avoir une proximité avec le passé très forte. Tu te sens tenu par le costume. Tu respires autrement, tu marches, tu bouges autrement. Cela te rapproche d’une certaine époque parce que tu as les mêmes handicaps. La réussite dépend de la combinaison de tous ces éléments. Il n’y a pas un élément plus important que l’autre.

Comme illustration je peux parler un peux de la pièce Hamlet, mise en scène par Daniel Mesguich en octobre de cette année, où j’ai joué le rôle de Théâtre Nationale de Marseille. Les costumes utilisés appartiennent à des époques disparates, des costumes d’époque se mélangent à des costumes de nos temps. Le décor aussi mélange des images de différentes époques. Les personnages ne témoignent pas d’expériences associées à un même place. Le langage est médiéval et nous transmet des choses aujourd’hui avec des idées d’un autre temps et d’autres places. Le directeur a voulu marquer la théâtralité de ce chef d’Eure de Shakespeare.

Le théâtre comme le cinéma, en faite n’ont rien de vrais. On ne recrée pas la réalité. Du coup tout est possible parce qu’on ne cherche pas un réalisme ou une reconstruction historique quelconque. Au théâtre, par contre, il ya une grande liberté de composition, de création, d’être dans le contraire de ce qui se joue. Le personnage peut aussi penser des choses très opposées quand il joue un certain personnage. Les spectateurs aussi. Chaque spectateur peut lire une pièce de façon très personnelle.

JMM - Tu pourrais identifier une manière particulière de faire cinéma historique en France?

SD – En France il a une volonté très forte de s’appuyer sur le passé. Par exemple, le filme La Reine Margot de Patrice Chéreau, reflet la vision d’un homme de culture, d’une connaissance française d’utiliser l’histoire par le cinéma et par le théâtre. La force du théâtre est très représenté dans le cinéma français et cela imprime un caractère spécial au cinéma français. Le film Molière de Laurent Tirard en est une bonne illustration de cette influence. Le film a un rythme très contemporain qui en même temps nous rapproche beaucoup du film Molière de Mnouchkine.

Parallèlement, en France il y a la transmission du savoir-faire de génération en génération à tous les niveaux. Cela peut s’apercevoir à tous les niveaux à l’heure de la recréation des costumes et des décors. A la Comédie Française on a encore tous les outils qu’on continue a utiliser pour faire les plis et les godrons des fraises ou des collerettes qu’on ne retrouve nul part. Tout cela contribue à une manière française de représenter l’Histoire.

JMM – Il ya des choses à interdire au moment de revisiter l’Histoire quand on fait d théâtre ou du cinéma?

SD – Rien n’est interdit. Il faut tout essayer. Je suis contre les interdits. Tout peut devenir juste. Aucune possibilité ne peut être écartée quand on part avec un auteur pour faire un parcours destiné à connaître une époque.

JMM – Quelle est ton opinion sur l’utilisation du théâtre filmé et sur certaines formes de faire cinéma qui cherchent à filmer la théâtralité?

SD – Le théâtre filmé est très différent du cinéma. Le film doit pouvoir être vu par milliers ou millions de personnes. Les acteurs au théâtre jouent pour 500-600 personnes. Il faut porter la voix de façon très différente. Au théâtre il faut conduire la voix jusqu’aux derniers rangs plus éloignés de la scène. Le théâtre filmé montre entre autres choses, cette caractéristique propre d’une pièce jouée dans une salle. La base est une pièce dont le destin n’est pas d’être filmé.

Par contre, au cinéma, la camera rapproche le regard du spectateur sur l’acteur. On voit et on écoute chaque respiration. Plusieurs réalisateurs filment de façon théâtrale, mais il finissent toujours para faire un filme.

JMM – Dans une époque où les salles de cinéma ont des problèmes quelques fois à survivre par la concurrence écrasante de la télévision et des vidéos à la demande par téléchargement, comment vois-tu la place et la fonction du théâtre?

SD – Le cinéma et le théâtre sont deux exercices différents de représentation. Ils se basent chacun sur des supports différents. Un sur la camera, l’autre sur la scène. Le théâtre servira toujours à créer des moments plus intimes pendant lesquelles un nombre limité de spectateurs, dans un lieu et un temps déterminé, partagent un moment unique. Les acteurs peuvent se souvenir de chaque représentation par un petit moment, une anecdote. Le même peut se passer avec les spectateurs. Pour quelqu’un qui a vu para exemple Hamlet plusieurs fois, aura des souvenirs différents de chaque occasion. Moi-même je garde différents mémoires de différentes actuations en tant qu’acteur et en tant que spectateur. Cela c’est une des magies du théâtre.

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ISSN 1988-8848